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Le groupe français, numéro un mondial du luxe, vient d’annoncer le 26 janvier 2017 des résultats records pour 2016. Le fleuron tricolore affiche un chiffre d’affaires de 37,6 milliards d’euros, en progression de 5 % et un résultat net part du groupe de 3,9 milliards d’euros soit une hausse de 11 % par rapport à 2015. Au-delà des performances financières, le groupe brille à l’international par l’excellence de ses marques et de ses produits et n’est pas prêt de s’arrêter. Comment analyser cette ascension continue ? Quels sont les éléments clés de la stratégie du groupe qui permettent à LVMH d’aller toujours plus haut ?
LVMH affiche des performances financières exceptionnelles en 2016. Présent dans cinq secteurs d’activités principaux – vins et spiritueux, mode et maroquinerie, parfums et cosmétiques, montres et joaillerie, distribution sélective –, il est le leader incontesté du luxe au niveau mondial avec un portefeuille de plus de 70 marques (notamment Moët & Chandon, Dom Pérignon, Veuve Cliquot Ponsardin, Château d’Yquem, Louis Vuitton, Céline, Loewe, Kenzo, Givenchy, Fendi, Marc Jacobs, Berluti, parfums Christian Dior, Guerlain, Sephora, Le Bon Marché, Bvlgari, TAG Heuer, Chaumet et Dior montres). Certes la diversification des activités et des marchés géographiques permettent de pallier un contexte d’instabilité géopolitique et économique, mais à notre avis l’attractivité des marques repose sur une recherche permanente de l’excellence grâce aux talents des collaborateurs, une priorité donnée à l’innovation, un esprit entrepreneur au sein d’un grand groupe et une prise en compte toujours plus importante de la dimension sociétale et environnementale.
Artisanat d’excellence et talent factory
Le premier facteur clé de succès repose sur le capital humain du groupe : 125 000 personnes à fin 2016 ! Des femmes (74 % des effectifs au sein du groupe LVMH) et des hommes passionnés par leurs métiers qui opèrent aussi bien en France qu’à l’international (82 % des collaborateurs sont hors de France). Des artisans qui se sont formés au fil des ans, parfois, de génération en génération. Des collaborateurs au savoir-faire inégalé et qui utilisent des matières premières d’exception, chacun dans leurs domaines respectifs : qu’il s’agisse de maîtres-parfumeurs, d’horlogers, de joaillers… ou encore de directeurs artistiques qui savent insuffler un nouvel élan à des marques iconiques. Un renouveau et un renouvellement perpétuel dans un univers où il faut combiner inspiration créative et pression des collections.
Dans la Haute Couture par exemple, après le départ du tumultueux John Galliano de la Maison Dior, le Belge Raf Simons a su moderniser les créations Dior avec des collections plus sobres, caractérisées par un style épuré et architectural. Lorsqu’il quitte le groupe en octobre 2015, après trois ans qui ont permis de hausser la Maison de couture parisienne à des sommets, une nouvelle ère va débuter. C’est une femme qui sera finalement choisie cette fois : première femme à la tête de la maison Dior en 69 ans ! L’Italienne Maria Grazia Chiuri le remplacera comme directrice artistique de la Maison Dior en juillet 2016.
Chez Berluti, un nouveau directeur artistique a également été nommé début septembre 2016. Le Français Haider Ackermann a présenté sa première collection lors de la Fashion Week Homme de janvier 2017. Chez Louis Vuitton, le groupe a développé une collaboration avec le designer australien Marc Newson pour lancer en juillet 2016 une nouvelle collection de bagages roulants en complément des modèles légendaires. Ces exemples montrent à quel point le groupe a réussi à allier « traditions d’excellence et passion créative ».
D’ailleurs dans un article de New York Times du 8 juin 2016 intitulé « Can America Build Its Own LVMH ? », un des arguments évoqués pour expliquer l’absence de groupes capables de rivaliser avec notre champion français (au-delà de Kering ou Compagnie Financière Richemont) est l’absence d’autres acteurs disposant d’un portefeuille de marques avec un héritage suffisant sur lequel capitaliser et ce notamment aux États-Unis.
Un groupe qui est aussi soucieux d’attirer des talents que de les retenir et qui a par exemple développé sa « Talent Factory », un programme destiné à faire évoluer au sein du groupe les candidat(e)s à fort potentiel. Autant d’initiatives et d’actions au quotidien qui pousse à se remettre en cause en permanence, à rechercher des talents dans le monde entier pour hisser chaque Maison au plus haut, assurer une croissance rentable et durable. Un challenge à relever car les directeurs artistiques notamment doivent pouvoir mener à bout leurs choix créatifs, s’épanouir tout en respectant les contraintes liées à l’appartenance à un grand groupe et il n’est pas rare que ces personnalités s’envolent finalement pour développer leur propre marque.
Des efforts d’innovation dans tous les secteurs
Le deuxième facteur clé réside à notre avis dans l’effort permanent d’innovation. C’est la recherche de l’excellence qui pousse le groupe à combiner tradition, savoir-faire, travail d’artisans et innovation. Ainsi chaque année, les différentes Maisons lancent-elles des nouveautés pour fidéliser et élargir leur clientèle. L’innovation qu’elle concerne les produits, les technologies utilisées, les canaux de distributions, l’accélération du digital… fait partie de l’ADN du groupe LVMH.
Pour ne mentionner que quelques exemples marquants en 2016, dans l’activité mode et maroquinerie, Louis Vuitton est entré dans l’univers des parfums. Sous la direction de Jacques Cavallier-Belletrud, né à Grasse et devenu le nez de la maison, sept eaux de parfum ont vu le jour en 2016. Inspirées de voyages à travers les cinq continents : Rose des vents, Turbulences, dans la Peau, Apogée, Contre moi, Matière Noire et Mille feux sont distribuées exclusivement dans les boutiques de la Maison depuis septembre 2016 et viennent compléter les modèles légendaires de bagages et sacs Louis Vuitton.
Non seulement l’innovation est développée en interne mais le groupe lui consacre une place tout aussi importante dans sa stratégie de croissance externe. En reprenant la société allemande Rimowa, LVMH a choisi une société déjà leader mondial dans l’alliance artisanat et technologie de précision. La société allemande qui produit ses nouveaux modèles en polycarbonate a également lancé l’étiquette électronique Rimowa, pionnière dans l’enregistrement des bagages grâce à une étiquette électronique équipée de Bluetooth. Dans l’activité parfums et cosmétiques, la marque américaine Fresh a lancé pour ses 25 ans une nouvelle gamme de produits développée dans son laboratoire de recherche en France où biologistes, chimistes, dermatologues et experts collaborent pour formuler des cosmétiques utilisant les dernières technologies de pointe.
Dans la distribution sélective, Sephora poursuit sa stratégie e-commerce en proposant des outils toujours plus novateurs et personnalisés à l’instar d’applications mobiles qui permettent de choisir le fond de teint idéal en fonction de sa carnation (Color profile) ou d’obtenir en magasin ou sur l’e-store des conseils individualisés (My Sephora). D’autres initiatives sont également à souligner comme la participation du groupe LVMH au début de l’été 2016 au premier Salon Viva Technology rassemblant les principaux acteurs de la transformation digitale. L’occasion d’ouvrir les portes de son Luxury Lab et de présenter certaines innovations notamment celles de la Maison Guerlain avec son service de consultation digitale pour découvrir son parfum ou encore la montre connectée de la Maison TAG Heuer.
Certes ce virage vers le digital est indispensable. Néanmoins les efforts consentis apportent-ils vraiment le retour sur investissement attendu ? Par exemple l’embauche de Ian Rogers (expert de la musique digitale chez Apple) comme nouveau directeur du digital du groupe en septembre 2015 suscite encore des questions notamment car il est très difficile d’harmoniser la politique digitale aux 70 marques.Selon le Boston Consulting Group (BCG) :
« Pour de nombreuses firmes de luxe, le digital est une nouvelle réalité difficile. Elles doivent confronter de nouvelles tensions entre leur monde traditionnel d’exclusivité et l’accès à Internet pour tous ».
Responsabilité sociétale et environnementale
Troisième volet de la stratégie gagnante du groupe, la volonté de mener toutes ses actions dans une démarche de responsabilité sociale et du respect de la personne. Les valeurs que le groupe véhicule remontent à l’origine des Maisons et font partie intégrante de sa stratégie de croissance rentable et durable. Depuis 2011, le groupe LVMH reporte ses efforts et ses réalisations à travers un rapport de responsabilité sociale spécifique.
Comme indiqué dans le rapport de responsabilité sociale (RSE) 2015, la responsabilité sociale est une valeur fondamentale du groupe et s’articule autour de quatre piliers : « Prévention des discriminations et respect de la singularité », « Développement des talents et des savoir-faire », « Attention constante portée aux conditions de travail », « Implication sociale et territoriale ». Le groupe LVMH a adressé en 2015 à l’ensemble de ses Maisons un questionnaire qualitatif qui incluait la question suivante : « Quels sont vos enjeux RSE prioritaires ? ».
Selon le rapport de RSE 2015, l’ensemble des Maisons ayant un poids significatif dans le reporting du groupe, soit plus de 40 entités, a répondu indiquant que les quatre axes prioritaires étaient pris en compte. La responsabilité sociale concerne toutes les activités et s’applique partout dans le monde. Il est également intéressant de noter que les axes prioritaires sont définis en central mais les Maisons peuvent déployer leurs propres initiatives en fonction de leurs spécificités ou des enjeux propres à leur activité.
Aux États-Unis par exemple, Sephora, l’enseigne de distribution sélective dans l’univers de la beauté a lancé il y a un an le programme Sephora Stands et annonce une extension dans ses efforts encourageant l’entreprenariat féminin. Consciente du fait que, même dans l’univers de la beauté, les entrepreneurs femmes sont sous représentées, l’enseigne a lancé, dans le cadre de son initiative Sephora Accelerate, une nouvelle plateforme pour encourager les initiatives des femmes. Le groupe propose notamment de sélectionner et d’accompagner d’ici 2020 plus de 50 femmes entrepreneures dans le monde de la beauté.
À l’heure où nombre de nos marques françaises, nos industries ont été ou sont absorbées par des groupes étrangers (reprise de la branche énergie d’Alstom par l’américain General Electric, du Club Med par le chinois Fosun, de Lafarge par le groupe suisse Holcim…), c’est au contraire le groupe LVMH qui rachète des sociétés à l’étranger : Bvlgari en 2011, Loro Piana en 2013 ou encore dernièrement le groupe Allemand Rimowa comme indiqué précédemment.
Non seulement le groupe affiche des performances financières solides et prometteuses mais c’est aussi l’image de la France qu’il véhicule à travers le monde. La réputation et la désirabilité de ses marques en font un leader incontesté. Un groupe dirigé de main de maître par un visionnaire dont la stratégie s’articule autour de la recherche de l’excellence grâce aux talents de ses collaborateurs, à la place omniprésente de l’innovation tout en inscrivant son développement dans une démarche de responsabilité sociale et durable.
Le 3 février 2017, l’action cote 188,65 euros en milieu de matinée et la capitalisation boursière du groupe LVMH s’élève à 95,64 milliards d’euros, ce qui place le groupe en 4e position derrière Total (115,49 milliards d’euros), Sanofi (97,74 milliards d’euros) et l’Oréal (96,25 milliards d’euros), de quoi réjouir ses actionnaires, auxquels il proposera, lors de l’Assemblée générale du 13 avril 2017, un dividende en hausse de 13 % à 4 euros par action.
Deux défis à moyen terme
Avec près de 4 milliards d’euros de cash-flow disponible à fin 2016, le groupe prévoit encore de grossir et conserve son esprit entrepreneur. Il a annoncé le 3 février 2017 la création d’une structure d’investissement : Luxury Ventures pour soutenir les marques de luxe en devenir. Où le groupe LVMH s’arrêtera-t-il ? Franchira-t-il la barre des 40 milliards d’euros de chiffre d’affaires d’ici 2020 ?
Afin de poursuivre son ascension, le groupe devra relever deux défis majeurs à moyen terme dans un contexte économique et géopolitique incertain : celui de rendre profitable un maximum de Maisons et de retenir effectivement les talents ou alors envisager des cessions. Le groupe ne reportant pas ses résultats par Maison mais par activité (six activités au total), il est difficile de savoir si individuellement toutes les marques et Maisons contribuent à la croissance durable du groupe.
Même si ce manque de transparence est sans doute justifié par des raisons de confidentialité, nous sommes en droit de nous demander si certaines Maisons comme Louis Vuitton par exemple ne permettent pas de couvrir la faible rentabilité ou les pertes d’autres marques ? Est-ce que Berluti est effectivement profitable ? Tous les changements récents peuvent laisser penser que la marque cherche encore à se relancer.
Quel horizon le groupe se fixe-t-il pour que ses marques soient rentables ? Dans l’activité mode et maroquinerie toujours, il semblerait que Donna Karan n’ait pas apporté les résultats escomptés, ce qui aurait finalement contribué à céder la marque en 2016. Bloomberg indiquait dans un article du 27 juillet 2016 intitulé « LVMH to sell Donna Karan to G-III Apparel for $650 million » que la vente par LVMH (de Donna Karan) reflétait l’incapacité de LVMH à générer une croissance rentable de l’activité. Les journalistes citaient également Luca Solca, analyste chez Exane BNP Paribas :
« Vendre DKNY est un moyen de se débarrasser d’un problème à un moment où le marché est difficile (…) Se débarrasser des activités déficitaires est la deuxième meilleure solution mais mieux que de les garder dans le groupe comme un frein permanent à la croissance ».
Le deuxième défi crucial à moyen ou long terme reposera sur la succession de Bernard Arnault. Son successeur ou ses successeurs seront-ils capables de poursuivre cette croissance durable et auront sans doute des choix importants à faire en matière de politique digitale et de diversification extrême ?
Isabelle Chaboud, Professeur Associé d’analyse financière, d’audit et de risk management, Grenoble École de Management (GEM)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.