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Les deux destructions successives de Palmyre par l’État islamique, en 2015 et 2017, ont été interprétées comme une épuration de l’Histoire antique de la Syrie. Le chef des antiquités syriennes, Maamoun Abdelkarim, déclarait ainsi : « La bataille pour Palmyre est culturelle et pas politique. » Cette analyse laissait cependant de côté la dimension économique de ce qui était aussi – et peut-être avant tout – un pillage. C’est ce que rappelle l’essayiste et femme politique franco-syrienne Randa Kassis.
Guillaume de Sardes : Les médias occidentaux ont beaucoup insisté sur la dimension symbolique de la destruction de Palmyre. Puis, lors de la reconquête des territoires occupés, on s’est aperçu que les cadres financiers de Daech octroyaient le droit de fouiller illégalement les sites archéologiques. En contrepartie de ces permis, l’organisation terroriste percevait des taxes sur les ventes des objets. Que pouvez-vous nous dire sur ce trafic ?
Randa Kassis : Il est certain que DAECH a continué son pillage organisé du patrimoine syrien ainsi que celui de l’Irak pendant son occupation de ces territoires. Ce trafic illégal était devenu une deuxième source de financement pour l’EI juste après le trafic de pétrole. Selon la CIA en 2015 ces ventes auraient rapporté à cette organisation terroriste quelques milliards. Mais il faut toujours rappeler que le pillage des sites archéologiques n’était pas réservé exclusivement à DAECH, d’autres protagonistes comme le régime syrien, des brigades armées de l’opposition syrienne et des pilleurs locaux ont également fouillé illégalement et vendu ces biens culturels en les faisant transiter par des intermédiaires qui se trouvaient dans des pays voisins comme la Turquie, le Liban ou la Jordanie pour les acheminer finalement chez des collectionneurs privés ou chez des commerçants en Europe. Ce dernier est considéré comme le plus grand marché dans le monde.
La première conséquence collatérale causée par ce pillage et par la destruction du patrimoine est la perte de la mémoire historique de la Syrie qui en aura tellement besoin pour se reconstruire à nouveau dans le futur. Sans cette mémoire historique, la Syrie aura des difficultés à se réconcilier avec toutes les composantes ethniques et religieuses qui se trouvent dans le pays depuis le début de la civilisation syrienne.
Nous devons être conscients de l’importance de préserver ce patrimoine qui aidera les Syriens à surmonter leurs souffrances et à recréer une identité nationale fondée sur l’histoire du pays d’où l’importance de commencer une restauration du patrimoine lors du début d’un réel processus politique.
Guillaume de Sardes : En 2017, le Conseil de sécurité a voté à l’unanimité une résolution visant à renforcer les moyens de défense des sites menacés dans les zones de conflit. Le texte souligne que s’attaquer au patrimoine culturel ou religieux « peut constituer, dans certaines circonstances et conformément au droit international un crime de guerre ». Que pensez-vous de cette résolution ? Quelles en sont les limites ?
Randa Kassis : ll n’y a aucun doute que cette résolution est importante, mais elle reste limitée. Nous savons que peu d’œuvres d’art pourraient trouver le chemin du retour sans une vraie volonté de la part des pays de lutter contre ce commerce illégal. La volonté pourrait se manifester en appliquant des condamnations sévères contre les trafiquants et les receleurs notamment en renforçant la répression du recel des œuvres antiques pour tenter de casser ce marché existant en Europe. La restauration du patrimoine doit être prise en compte et avoir sa place dans le processus politique. Pour cette raison, en tant que Présidente de la plateforme d’Astana et en collaborant avec d’autres, nous travaillons sur un plan politique et culturel afin de trouver une issue au blocage politique actuel. Malheureusement, je n’attends plus grand-chose de la part de l’ONU qui démontre à chaque fois son incapacité de trouver une seule idée pour gérer n’importe quelle crise dans le monde. Cette institution est devenue obsolète et il est temps d’agir autrement. Elle ressemble chaque jour un peu plus au « machin » évoqué par le Général de Gaulle ou à une machine à recycler des hommes politiques ou diplomates incompétents dont se débarrassent leurs pays d’origine. Pour moi, un vrai processus politique et une réconciliation durable doivent passer par un processus culturel et la reconstruction de la mémoire collective historique.
Guillaume de Sardes : Quelle place la culture doit-elle avoir dans la phase de reconstruction qui devrait bientôt commencer ?
Randa Kassis : Il est encore tôt de parler d’un plan de reconstruction en Syrie. Tant qu’il n’existera pas un vrai processus politique, la Syrie demeurera, malheureusement, dans un chaos partiel. Les sanctions économiques dureront et seront renforcées. Le retour de réfugiés ne sera pas réalisable et le régime de Bashar al-Assad tiendra mais restera fragile.
L’histoire est faite par des individus. Pour cela, je crois aux efforts et à la persévérance de toute personne qui œuvre pour le futur de la Syrie. Comme je l’ai précisé dans ma réponse précédente, je suis en consultation avec d’autres opposants et institutions européennes afin de trouver une initiative politico-culturelle pour la Syrie dont la restauration sera dans l’ordre du jour de ce plan. Je reste abasourdie en entendant les propos de certains archéologues qui conseillent de ne pas toucher au patrimoine détruit sous le prétexte que ces destructions font partie de l’histoire… Ma réponse est la suivante : nous aussi faisons partie de cette histoire et nous allons reconstruire tout ce qui a été détruit par des barbares et faire renaître l’identité historique de la Syrie. L’attitude de ces archéologues qui semblent se complaire dans la contemplation malsaine des destructions me paraît révélatrice du niveau de lâcheté et de mollesse atteint par la société contemporaine.