|
|
Aurélia
Vigouroux
Par Aurélia Vigouroux
Vendredi soir, vingt-trois heures trente, en pleine lecture des lettres d’amour d’Albert Camus et de Maria Casarès passionnément échangées pendant 12 ans et brutalement rompues par l’accident mortel de l’écrivain, je reçois, ce sms énigmatique d’une amie blogueuse « Tu connais RAYA? » Pourtant experte dans le décryptage des messages parfois même rédigés entièrement en smiley, le nouveau langage des érudits 2.0 pointé… celui-ci me laisse pantoise… par peur de passer pour une inculte et d’avoir raté le dernier grand auteur ou gourou à la mode, je googlelise ces 4 lettres et tombe sur RAYA, l’application de rencontre des stars.
Smartphone en main, je télécharge ce tinder première classe, et attends que le jury passe au crible mon profil composé de quelques renseignements et surtout de mon instagram devenu l’indice de personnalité grata… Quelques heures plus tard, je reçois la confirmation avec mon code d’accès que j’active immédiatement, impatiente d’ouvrir mon carnet de bal…
Une fois mon profil rempli et sa musique d’accompagnement choisie, chez les célibataires de haute lignée on s’annonce en dolby stéréo … Je navigue à la recherche de l’âme célèbre, switchant de profil en profil. Mon engouement est vite bloqué au dixième prétendant. Raya n’est pas un supermarché de rancards à profusion mais une épicerie fine qui distille chaque jour sa fine fleur. Le marketing de la pénurie opère… la rareté a toujours conféré une aura de prestige.
Je reviens sur l’assortiment initial, navigue sur leur présentation, étends mes recherches sur leur instagram et là un détail me saute aux yeux. Aucun d’eux n’habite en France ! Le plus près est à Londres et les autres sont à New York ou Los Angeles. Je retourne vérifier sur l’application, en effet le fameux système de géolocalisation des sites de rencontres pour personne lambda n’existe pas ici. Mais oui, suis-je bête chez les stars le moyen de locomotion de prédilection n’est pas la voiture mais le jet, ce qui étend le champ des possibles. Je passe d’un écosystème local, à une vision mondiale. Agrippée à des réflexes ordinaires et par principe de précaution, j’amorce la discussion avec le profil londonien dont le temps de distance me parait plus plausiblement réalisable, même en train…
Toujours en action avec un ballon sur ses photos, très très grand, très très followés, ce célèbre footballeur répond très très vite. Notre premier match débute. Il est mené en anglais pour préserver ce côté international et surtout éviter une déconvenue grammaticale assez répandue dans ce milieu : confondre le verbe être et avoir mais pas au sens philosophique… Nos échanges quotidiens restent sur le terrain neutre du foot, sujet qui ne fait pas partie de mon bloc culturo-social et sur lequel je me documente online avec un large choix de plus de 470 000 résultats sur son nom entre interviews, ralentis, photos… Je me réfrène, le comble du dating avec un VIP est de tomber dans la groupietude. Un texto reçu de sa part en français me rappelle à la réalité « je c’est pas qu’en … » et me fait entrevoir les moments de solitude que Champollion a dû ressentir face au déchiffrage de certains hiéroglyphes…
Après un mois de relation épistolaire cross digitale qui a tout à envier aux correspondances d’Albert Camus et de Maria Casarès, notre performance sportive virtuelle composée de 153 sms, 120 whats app, 35 instagram et 43 messenger entre 5 fuseaux horaires, s’est achevée par l’envoi d’un de ses selfies auquel j’ai répondu par un dernier message laconique « Merci Monsieur, mon cerveau et mes doigts ont été ravis de vous rencontrer »