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A priori, on ne peut pas imaginer plus grand écart que la campagne nord-irlandaise et l’avenue Montaigne. Pourtant, en quelques années, Jonathan Anderson a su gravir les échelons de l’univers de la mode. Dans une industrie hautement compétitive, et souvent maladivement accrochée à la tradition, le styliste irlandais a su insuffler une vision renouvelée de la mode. Sa couture flirte avec les limites de l’art. Il aborde avec malice et irrévérence les codes du luxe. Et rien ne lui plaît davantage que de revendiquer un style singulier, quitte à se placer à rebours de la tendance.
Pour la première fois depuis Christian Dior lui-même, un seul créateur a la charge de toutes les collections de la maison parisienne. Jonathan Anderson a déjà présenté sa première collection masculine à Paris, l’été dernier. Et le 2 octobre prochain, il se confrontera à une épreuve encore plus intimidante : son premier défilé féminin pour Dior. Pour aborder ce défi, le styliste peut compter sur un parcours impressionnant. Mais aussi, et peut-être surtout, sur sa capacité à aborder son poste en tant que curateur en charge de donner du sens à l’histoire de la maison Dior.
Les débuts d’un prodige nord-irlandais
Né en 1984 en Irlande du Nord, Jonathan Anderson a débuté sa carrière bien loin des podiums parisiens. Sa jeunesse est marquée par un goût prononcé pour le théâtre. Mais après un passage aux États-Unis comme apprenti comédien, c’est bien vers la mode qu’il se tourne. Il fait ses études au prestigieux London College of Fashion. Et dès 2008, il fonde sa propre maison, JW Anderson.
Le tout jeune styliste se fait immédiatement remarquer. On salue chez lui une approche expérimentale, et une manière inédite de déconstruire les genres. Ses collections brouillent les frontières en masculin et féminin. Il propose une vision hybride de la mode. Et Anderson y cultive ouvertement les références culturelles et artistiques. Ce positionnement original attire vite l’attention de l’industrie. Et le propulse parmi les talents à suivre.
Styliste visionnaire pour la renaissance de Loewe
En 2013, LVMH le nomme directeur artistique de Loewe. La maison espagnole est alors en quête de renouveau. Et elle peine à trouver ses marques au milieu de maisons patrimoniales mieux connues qu’elle.
Chez Loewe, Jonathan Anderson ne se contente pas de moderniser l’image de la marque. Il la propulse au cœur de la conversation culturelle. Et sous sa direction, Loewe devient une maison manifeste, où l’artisanat le plus exigeant se mêle un langage créatif résolument contemporain.
Anderson multiplie les collaborations avec des artistes et des designers. il transforme la présentation des collections pour consolider la pertinence culturelle de la marque. Et il redéfinit la place de Loewe sur la scène du luxe international. Grâce à lui, la maison madrilène passe du statut de marque discrète à référence incontournable. Loewe fait la tendance sur les réseaux sociaux. Et les ventes grimpent en flèche.
La consécration Dior
Presque sans surprise, LVMH fait monter en grade ce talent devenu incontournable. Et le groupe opère un choix ambitieux : il confie à Jonathan Anderson toutes les collections de la maison Dior. Une première depuis le décès de Christian Dior.
Lors de la Mensweek de Paris de juin 2025, Anderson a vécu son baptême du feu. Il a présenté sa première collection masculine pour Dior. Un moment forcément scruté avec une attention particulière, tant la maison est une institution de la mode mondiale.
Fidèle à son style d’équilibriste, Jonathan Anderson a proposé une collection dans laquelle les archives Dior dialoguaient avec une vision d’avant-garde. Les coupes rigoureuses héritées de la tradition tailleur de Dior se mariaient avec des volumes inattendus. De la veste Bar au bermuda cargo, chaque silhouette semblait bâtie comme un objet de design. Et elle exprimait autant une réflexion sur la fonction que sur l’ornement.
Premier défi relevé. Jonathan Anderson a prouvé qu’il avait compris la consigne. Et sa capacité à respecter le patrimoine Dior tout en ajoutant une radicalité contemporaine a été largement saluée. Mais pour y parvenir, il lui faut dessiner les contours d’un nouveau récit Dior bien plus vaste. Et il a déjà commencé à en jeter les bases.
Dialogue inspiré entre mode et art : Sheila Hicks et Jean Siméon Chardin
Jonathan Anderson ne cache pas sa fascination pour l’art. Il le considère comme un langage indissociable de la couture. Et à peine arrivé chez Dior, il a immédiatement fait appel à l’artiste textile Sheila Hicks. C’est elle qui a revisité le sac Lady Dior, icône absolue de la maison. Cette collaboration réaffirme la conviction d’Anderson : le luxe doit s’enrichir du regard d’artistes extérieurs s’il ne veut pas perdre sa pertinence. Et le meilleur moyen de magnifier la mode est encore de la déconstruire.
Lors de son premier défilé masculin, le styliste irlandais a aussi rendu hommage à Jean Siméon Chardin. Le maître du XVIIIe siècle était à l’honneur avec deux de ses toiles exposées pendant le défilé. Un choix qui dépasse la simple anecdote. Il ancre le travail du nouveau directeur artistique de Dior dans une réflexion sur le patrimoine culturel français. Et il inscrit Dior dans une continuité historique qui démontre sa compréhension des enjeux créatifs actuels. Jonathan Anderson affirme que sous sa direction, Dior retrouvera son rang d’institution culturelle.
Jonathan Anderson chez Dior : curateur, plutôt que directeur artistique
Régulièrement sollicité pour des interviews, Jonathan Anderson a pris l’habitude de se désigner lui-même comme un « curateur ». Cette posture semble singulière dans l’univers du luxe. Et pourtant, elle traduit bien l’évolution actuelle de cette industrie. Challengée de toute part par la culture populaire, les dupes et l’IA, le luxe doit retrouver son authenticité créative.
Pas d’ego chez Anderson. Il ne se présente pas comme un créateur tout-puissant qui imposerait sa vision. Mais il envisage plutôt son rôle sous l’angle d’un passeur. Son objectif ? Orchestrer entre les héritages et les différentes influences Dior pour leur donner un sens nouveau. Et si possible cohérent.
Dans une maison où se sont notamment succédé John Galliano, Hedi Slimane, Maria Grazia Chiuri ou encore Kim Jones, la mission s’annonce pour le moins ardue. Et motivante. Car la force de la maison Dior tient justement à la richesse de ses archives. Elle jouit d’une grande pluralité, tant dans ses collections de mode féminine et masculine, que dans les accessoires.
À la veille de son premier défilé féminin, Jonathan Anderson a donc déjà amorcé un changement de taille. Car à la tête de Christian Dior, il entend retrouver une cohérence là où l’histoire a multiplié les ruptures stylistiques. Sa mission est claire autant qu’ambitieuse. Il doit transformer Dior en une maison qui ne se contente pas de proposer des collections. En une maison qui raconte une histoire globale, nourrie de savoir-faire, d’art et de culture. Une maison à même d’aborder sereinement les changements culturels de la société contemporaine.
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