|
![]() |
|
Le luxe est aujourd’hui traversé par une polarisation générationnelle. Les clients historiques restent profondément attachés à la culture de la couture. Et de l’autre côté, les jeunes générations consomment davantage les tendances de mode et les images instantanées des réseaux sociaux. La culture du buzz a remplacé pour eux la culture de la couture. Dans ce contexte, satisfaire tout le monde relève du défi.
Et pourtant, la collection printemps-été 2026 de Sarah Burton pour Givenchy illustre la force d’une approche équilibrée. Oui, il est encore possible de renouer avec l’exigence de la couture française, tout en injectant une énergie moderne. Et l’on peut séduire un public élargi sans trahir l’âme couture d’une maison parisienne.
Givenchy, un pilier de la couture française
Givenchy appartient à cette poignée de maisons qui incarnent une idée patrimoniale du chic français. De la robe noire d’Audrey Hepburn au chemisier Bettina, la maison a inscrit ses créations dans l’imaginaire collectif. Et elle s’est imposée, au fil des décennies, comme une icône culturelle aussi bien qu’esthétique.
Cette mémoire place donc Givenchy dans une catégorie singulière. Car au-delà de la mode, c’est la culture de la couture parisienne qui est en jeu. Sa rareté, le statut qu’elle confère mais aussi son intemporalité capable d’en faire une valeur refuge dans l’univers de la mode.
Sarah Burton, l’héritière émancipée
Longtemps restée dans l’ombre d’Alexander McQueen, dont elle était le bras droit infatigable, Sarah Burton est souvent perçue comme son héritière. Une certitude encore renforcée par le fait qu’elle a occupé le poste de directrice artistique de la maison fondée par le couturier de génie. Et il est vrai qu’elle a gardé de son parcours avec lui un tailoring complexe, le goût du travail d’atelier minutieux et un certain sens du spectaculaire.
Pourtant, depuis son arrivée chez Givenchy, Sarah Burton démontre qu’elle sait aussi s’émanciper de cette tutelle esthétique. Et sa collection printemps-été 2026 en est la preuve. Elle y déploie tout son savoir-faire pour tenir sur une corde raide, entre respect du patrimoine et vitalité contemporaine.
Sa couture sait se faire sculpturale, avec notamment une robe bustier courte en soie rose d’une découpe précise. Les tops bijoux et les jeux de drapés séduisent l’œil, et ils mettent en valeur la richesse des matières. Les blazers souples, chemises blanches et jupes structurées révèlent la précision des ateliers de Givenchy. Et ils rappellent une forme de discipline qui fait l’essence de la couture.
Respecter la culture couture ou s’en détourner ? L’enjeu du luxe en 2025
De nos jours, la couture se heurte à deux lectures. D’un côté, les clients historiques privilégient la rareté, le savoir-faire et la valeur patrimoniale des pièces. Pour eux, la couture reste une culture plus qu’une tendance. Mais à l’inverse, les jeunes générations perçoivent souvent la couture comme un spectacle visuel. Pour eux, il s’agit d’une source d’images partageables, qui n’embarque pas nécessairement d’héritage culturel.
Cette polarisation est un défi majeur pour les maisons. Comment parler aux deux publics sans perdre ni l’un ni l’autre ? La nouvelle collection de Givenchy offre une piste de réflexion. Car Sarah Burton ne verse ni dans la nostalgie, ni dans la provocation gratuite. Et pourtant, sa collection n’a rien de consensuelle. Elle se place au-dessus de la mêlée en refusant de se montrer conservatrice ou opportuniste. Et elle rappelle ainsi que la couture n’est pas seulement un produit. C’est aussi une culture, dont la pertinence est assurée par une tension assumée entre tradition d’excellence et modernité visuelle.
Chez Dior, Jonathan Anderson a voulu déconstruire les icônes pour mieux séduire une clientèle jeune. Un parti pris audacieux, mais qui risque de désorienter les clients attachés à la culture couture traditionnelle.
À présent, l’arrivée de Matthieu Blazy chez Chanel suscite une question stratégique. Va-t-il sacrifier la clientèle historique au profit d’un souffle contemporain, comme l’a fait Jonathan Anderson chez Dior ? Ou saura-t-il trouver une voie médiane, comme Sarah Burton, capable de transcender les tendances. Réponse avec le défilé Chanel du 6 octobre prochain.
À lire aussi :
- Schiaparelli : Daniel Roseberry réaffirme le pouvoir de l’image
- Lanvin : la plus ancienne maison de mode est-elle encore pertinente ?
- Balmain : après l’audace, Olivier Rousteing ouvre l’ère de la maturité
- Dior : Jonathan Anderson peut-il réinventer sans trahir ?
- Saint Laurent : Anthony Vacarello impose un vestiaire de pouvoir
- Louis Vuitton : Nicolas Ghesquière signe un retour à l’essentiel