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Du luxe, le bois demeure aujourd’hui l’allié discret. Ronce, disposition ondulée de la fibre, ou loupe, excroissance à l’aspect tacheté ou enchevêtré, sont autant de « veinages » très recherchés qui ornent certains bois de formes complexes. Que ce soit le noyer ou le chêne, dont la France est le premier producteur européen, ces essences, parmi les plus courantes dans les ouvrages de luxe dits de « haute facture », font de l’arbre la composante première d’objets majestueux et rares. Citons le mobilier des palaces et des demeures d’exception, les placages de pièces entières en palissandre, sans oublier les parquets en chêne massif et la délicatesse des essences de la lutherie. Le bois, dans le secteur du luxe, est un champ très diversifié qui entretient une certaine confidentialité quant à ses marchés. Les grands ateliers français restent très réputés dans le secteur de l’ébénisterie (selon l’Union Nationale de l’Artisanat des Métiers de l’Ameublement, l’ébénisterie française génère un chiffre d’affaires de 4 milliards d’euros en 2015, dont environ 10 % pour l’ébénisterie dite « haute de gamme » destinée à une clientèle de décorateurs, d’antiquaires, d’hôtels, etc.) et de la marqueterie et réalisent entre 80% et 90% de leur chiffre d’affaires à l’international : sollicités par de riches clients qataris, russes ou chinois, ils sont désormais demandés par des décorateurs comme Jacques Garcia, rejoints par des marques de luxe comme Longchamp ou Dior. Celles-ci font fréquemment appel aux ateliers de haute-facture pour la décoration de leurs boutiques, nécessitant parfois un travail de 200 heures pour la seule commande d’un plafond. C’est une constante : le bois est partie-prenante du raffinement et de l’exception, dans ses usages et son histoire. Une histoire qui vient de loin.
Le bois a toujours été lié au pouvoir et à la démonstration de la puissance royale. François Ier, ayant donné une impulsion décisive à l’administration de la forêt et à l’usage du bois, va habiller ce matériau du raffinement de la Renaissance, découvert lors des guerres de Naples. Depuis le Moyen-Age en effet, les corporations de menuisiers liées au savoir-faire compagnonnique, étaient certes l’objet d’une valorisation sociale liée à la minutie du geste et à l’exceptionnelle qualité des essences employées. Mais c’est le faste royal renaissant qui va conférer au bois sa pompe, dont les manifestations en forme de « chefs d’œuvre » feront de celui-ci une composante polymorphe du luxe : ornements sculptés, retables baroques, pièces de mobilier à l’image des cabinets en ébène, joyaux des arts décoratifs du XVIIe siècle. C’est d’ailleurs à partir du même XVIIe siècle, que les menuisiers en ébène se séparent des menuisiers dits « de la petite cognée », pour devenir « ébénistes. » La sophistication de l’ébénisterie française fait du matériau un marqueur social, sous l’impulsion de grands faiseurs tel André-Charles Boulle. Dans son génie, il parviendra à mêler au bois, le bronze, puis développera la marqueterie à écaille. Colbert ne dira-t-il pas en 1672 à son propos qu’il est « le plus habile ébéniste de Paris » ? C’est cette reconnaissance sociale dont bénéficie le bois qui, au même titre qu’un édit somptuaire, lui confère une forme de distinction dépendant de son origine et du maître qui, par son estampille, obligatoire à partir de 1741, signera son chef d’œuvre. Sa noblesse provient de la rareté de son essence, de son lien harmonieux avec d’autres matières et du geste qui le transforme. C’est dire si le bois occupe une place particulière dans son rapport aux autres matières, ce que remarque justement le sociologue Hugues Jaquet :
« Dans l’imaginaire collectif, le travail du bois vient s’opposer à la violence, au bruit et à la chaleur de la forge et, à la différence des changements brusques d’état qui caractérisent le métal ou le verre, sa transformation semble contenue toute entière dans un monde idéalisé de temps longs, de douceur et de tempérance. » (Savoir et faire le bois, Fondation Hermès/Actes Sud)
Cette douceur et cette plasticité, autant que la référence à des qualités réelles et symboliques, expliquent la familiarité du bois avec le luxe, dans ses déclinaisons les plus modernes : automobile et nautisme notamment. Ce sont ces mêmes qualités qui lui octroient une place d’exception dans le design, notamment le design scandinave. L’épure qui chante un lien noble à la forêt autant qu’elle raconte une sobriété très travaillée, est le propre de designers comme Alvar Aalto, Verner Panton (en photo, son « Rocking Chair ») ou Maija Isola. Ce qui, ici, relève du luxe n’est pas seulement le talent des créateurs ou l’emploi d’essences exceptionnelles, mais la patiente maturation d’un matériau qui nous permet d’habiter naturellement l’espace et le monde. Le bois offre le luxe d’un lien privilégié entre une origine et sa destination, entre la beauté originelle des essences et leur esthétisation par le geste. En cela, le bois a les qualités d’une phénoménologie qui permet autant de bâtir que d’habiter et qui, à l’esthétisme du luxe, répond par l’appel des forêts.