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Pour justifier son désir de s’installer à Monaco, Helmut Newton aurait dit à l’officier monégasque en charge d’instruire son dossier : « J’aime le soleil ; il n’y en a plus à Paris ». Il aurait pu ajouter qu’avec l’élection de François Mitterrand se profilent des hausses d’impôts, alors qu’il en paye déjà trop. Mais sans doute cela va-t-il sans dire ! Quoi qu’il en soit, voici le célèbre photographe installé au 19e étage d’un immeuble du quartier de Monte-Carlo. On est en 1981, il a soixante-et-un ans.
Helmut Newton est alors un photographe mondialement connu qui au fil des collaborations avec des magazines comme Vogue a repoussé les limites de l’acceptable dans la mode. Il a imposé le « porno chic ». Il se consacre désormais à des recherches plus personnelles, notamment à travers sa série des Big Nudes. Pour autant, il n’a pas renoncé à son activité de mercenaire de la photographie. « Je suis un flingue à louer », se plaît-il à dire. Il commence à réaliser des prises de vue pour différents clients en utilisant Monaco comme décor. – C’est à celles-ci que Louis Vuitton a eu la bonne idée de consacrer un livre de sa collection Fashion Eye.
Outre des images qui relèvent de la mode, on trouve dans cet album quelques paysages et des scènes de crime rappelant le sensationnalisme de la presse tabloïd. On y voit par exemple une jeune femme à quatre pattes dans une salle de bain, en talons et porte-jarretelles, éponger le sang d’un mort dont ne restent sur le sol de marbre que les contours de son corps tracés par la police (American Vogue, Monte-Carlo, 2003). Sur une autre image, Yvonne III, Monte-Carlo, 1998, on voit cette fois une femme blonde, allongée inconsciente, sur un trench noir à même le sol d’une cuisine. Hormis des chaussettes, elle ne porte rien, son corps nu se reflétant légèrement sur la laque brillante d’un placard.
De telles images me semblent particulièrement intéressantes en ce qu’elles explicitent une idée qui traverse l’œuvre de Newton : tout, absolument tout est miné par le désir. Il est une puissance de négation, une limite à la société. Il fait craquer le carcan de ses conventions, parfois jusqu’au drame. Ne dit-on pas familièrement « aimer à mort » ? Une vision radicale du monde qui rapproche le photographe allemand de réalisateurs comme Fassbinder, Pasolini ou Oshima. Une vision que, lui, n’aura finalement fixée qu’avec un peu plus de glamour…