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Un tambour de la garde républicaine en grande tenue. Une majestueuse porte noire, animée, implosant tel un miroir futuriste, révélant dans un complexe jeu de réflexions les premières impressions d’une silhouette que l’on devine de grand soir. Et puis enfin, sur fond de musique rock, elle s’élance : la première mannequin de la nouvelle collection Celine par Hedi Slimane est révélée à un public trié sur le volet, qui se presse sous le chapiteau dressé, ce vendredi 28 septembre, devant les Invalides, à Paris.
Robe noire à poids blancs, volumes bouffants, bibi à voilette légère, l’inspiration couture est évidente. La ligne s’impose immédiatement, reconnaissable entre mille : les silhouettes filiformes, acérées, coupées au cordeau, s’enchaînent sur de jeunes mannequins hommes et femmes – une première chez Celine. Ce « journal nocturne de la jeunesse parisienne », tel que décrit par Hedi Slimane à la fin du défilé, met fin au suspens qui a tenu la planète mode en haleine depuis la nomination du styliste par LVMH à la tête de la création artistique et de l’image de Céline, en janvier dernier.
Hedi fait du Slimane
Si Hedi Slimane avait, avec le sens du timing qu’on lui connaît, distillé les indices sur la manière dont il allait s’affranchir – ou pas – de l’héritage de Phoebe Philo – du grand ménage opéré sur le compte Instagram de la marque au premier sac à main révélé par Lady Gaga, en passant par la redéfinition du logo de la maison, épuré de son accent aigu –, ce premier défilé aura apporté une réponse sans ambiguïté : que ce soit chez Dior Homme, où il avait redéfini le vestiaire masculin, chez Saint Laurent, où il avait poursuivi son exploration du style rock, et chez Celine, Hedi fait du Slimane.
Le créateur « a-t-il le droit de reprendre cette même esthétique, voire ces mêmes looks, pour les rapatrier chez Celine ? », fait mine de s’interroger la journaliste Hélène Guillaume dans les colonnes du Figaro. Un débat qui aura animé les coulisses de cette fashion week parisienne, consommant le schisme quasi-métaphysique opposant les inconditionnels du style Phoebe Philo à ceux qui révèrent Hedi Slimane. « Quelques voix, poursuit Hélène Guillaume, pensent trouver la solution en expliquant que LVMH aurait dû créer une nouvelle marque pour sa star. Mais franchement, imagine-t-on Hedi Slimane dans le rôle du ‘jeune créateur’ ? A 50 ans, on ne joue plus dans un garage avec son groupe de rock, on dirige la maison de disques ! ».
Et la journaliste de demander : « la question restant en suspens est de savoir si Hedi peut encore galvaniser la rue et la jeunesse comme il l’a fait dans les années 2000 chez Dior Homme, puis plus récemment chez Saint Laurent (2012-2016) ? ». Comme souvent, les ventes seront juges de paix, Bernard Arnault, le PDG de LVMH, ne cachant pas son ambition de voir Celine, qui affiche un chiffre d’affaires d’environ 1 milliard d’euros (dont 80% proviennent de la vente de sacs), viser les deux ou trois milliards par an. Et s’élever au rang des mastodontes commerciaux que sont Dior, Louis Vuitton et autres Gucci.
« J’ai trouvé mon style (…), je suis son obligé »
Les doutes quant à son aptitude à imposer à nouveau son style, Hedi Slimane les balaie. Dans une interview fleuve accordée le 25 septembre au Figaro, le créateur, habituellement très discret, se livre comme jamais. Et assume : « On n’entre pas dans une maison de couture pour imiter celui qui vous a précédé. (…) Le respect, c’est préserver l’intégrité de chacun. (…) Il faut être soi-même, sans posture aucune, envers et contre tout. (…) J’ai trouvé mon style, à moins que ce soit l’inverse, il y a plus de vingt ans. (…) Il m’appartient, et je suis en retour son obligé ». La cohérence comme ligne de vie, ou la fidélité comme ligne de fuite.
« Je campe sur mes principes, renchérit l’intéressé. Pourquoi renoncerais-je à ce qui me définit ? Devenir quelqu’un d’autre au prétexte que ce que j’ai fait par le passé a été digéré, ou imité ? » De fait, Hedi Slimane a les mains libres chez Celine, s’étant vu confier par LVMH « l’ensemble des collection de la maison » fondée en 1945 par Céline Vipiana, y compris la mode masculine, la couture et les parfums. Et, contrairement à Dior ou Chanel, Celine ne dispose pas d’importantes archives historiques. Une latitude qu’Hedi Slimane a bien intégrée : « Chez Céline, le poids du passé n’est pas aussi fort (…). On peut davantage s’en affranchir ».
Le parti-pris est donc clair, la direction tracée, l’antagonisme entre « Slimaniacs » et « Philophiles » assumé – revendiqué. Désormais installé à Paris, dans les ateliers d’un hôtel particulier du XVIIe siècle disposant des meilleurs savoir-faire, Hedi Slimane sait qu’il doit à la fois convaincre rapidement de son pari et installer Celine dans le temps. Un défi qui ne semble pas effrayer ce jeune homme de 50 ans, à l’allure d’éternel adolescent. Sa devise ? « Tenir. Quels que soient le but, les postures, les avis, le bruit, les agendas, la clef de tout, c’est préserver l’enchantement ».