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Lundi 20 octobre, Kering et L’Oréal ont officiellement annoncé la signature d’un partenariat de long terme autour de la beauté. Et cette opération dépasse la simple logique industrielle. Car c’est un geste stratégique à double lecture. Pour Kering, une décision lucide et pragmatique qui acte ses limites sur le territoire de la beauté. Pour L’Oréal, un coup de maître qui consolide son leadership sur le segment du luxe. Et en toile de fond, la démonstration d’une force bien française. Celle d’un écosystème où le luxe et la beauté s’adossent l’un à l’autre pour renforcer leur compétitivité mondiale.
Les enjeux de l’accord
Après quelques jours de spéculation, l’accord a donc été annoncé lundi 20 octobre. Et Kering va effectivement céder sa division beauté à L’Oréal. Le montant de l’opération se chiffre à 4 milliards d’euros. Et elle comprend notamment la prestigieuse Maison Creed, rachetée par Kering en 2023 seulement. L’accord prévoit aussi la mise en place de licences de longue durée (50 ans) qui permettront à L’Oréal de développer, produire et distribuer les parfums et cosmétiques de plusieurs marques du portefeuille Kering. L’Oréal fait ainsi entrer dans son giron les prestigieuses maisons Gucci, Balenciaga, Bottega Veneta et Alexander McQueen.
En outre, une co-entreprise à 50/50 est prévue. Elle va voir le jour pour que les deux groupes explorent conjointement l’univers du bien-être et de la longévité. Un nouveau territoire business à la croisée de la beauté, de la santé et du lifestyle qui monte progressivement en puissance.
Toutefois, le communiqué de presse reste silencieux sur un point crucial : la gouvernance créative. Qui, demain, décidera du « nez » d’un parfum Gucci ? Ou de la texture d’un rouge à lèvres Balenciaga ? Pour l’heure, la réponse reste floue. On parle d’un comité stratégique commun, mais les termes exacts en ce qui concerne le réel pouvoir créatif n’ont pas été rendus publics.
Or, c’est précisément ce silence qui pose question. Sommes-nous face à une cession de maîtrise ? Autrement dit, le luxe mode s’en remet-il au luxe beauté pour produire, ou s’agit-il vraiment d’un partenariat entre égaux ?
Le retour en force de la stratégie de licence
Si la question est d’importance, c’est parce que le développement de produits sous licence n’a rien de nouveau dans le luxe. Mais depuis plusieurs années maintenant, le secteur a privilégié une logique d’intégration verticale. Les groupes de luxe, particulièrement les groupes de mode, ont affiché leurs ambitions sur le marché de la beauté. Et lorsque Kering a inauguré sa division beauté, il semblait clair que le but était de s’émanciper de tout tiers pour développer une offre beauté parfaitement alignée avec les maisons de mode.
Alors cet accord sonne-t-il comme un échec ? Certes, Kering n’a pas réussi à développer une division beauté forte et compétitrice. Mais la signature de cet accord illustre une vérité plus large : la force du luxe français. Un groupe né de la mode et un autre né de la beauté unissent leurs expertises. Et ils démontrent ainsi qu’en France, le luxe est un écosystème complet, capable de s’allier plutôt que de se concurrencer. Là où d’autres pays capitalisent sur la tech, la France s’impose par une alliance pertinente entre savoir-faire créatif et puissance industrielle. Et de fait, le partenariat présente des avantages pour chacune des deux parties.
L’Oréal consolide sa position sur le segment luxe
Pour L’oréal, cette opération s’avère stratégique à plusieurs niveaux. D’abord, elle renforce L’Oréal Luxe, la division premium du groupe, déjà portée par les performances d’Yves Saint Laurent Beauté et de Valentino Beauty. Le portefeuille ultra premium se trouve renforcé avec des maisons emblématiques, déjà bien connues de la clientèle de luxe.
Ensuite, le groupe de beauté va pouvoir renforcer son storytelling autour du luxe patrimonial. L’ajout de Creed et des licences Kering ancre un peu plus L’Oréal comme le gardien des marques de prestige européennes. Même au-delà des enjeux financiers, il s’agit d’une excellente opération de communication, qui distingue un peu plus L’Oréal de ses concurrents.
Kering : le réalisme de Luca de Meo
Depuis son arrivée à la direction du groupe, Luca de Meo imprime une ligne claire : celle du pragmatisme. Un réalisme qui a peut-être manqué à Kering par le passé, mais qui est désormais nécessaire pour relancer la machine.
Loin des paris coûteux sur des métiers qu’il ne maîtrise pas, le groupe Kering fait donc le choix de la rationalité. Une décision qui tranche avec les années où Kering multipliait les incursions hasardeuses dans la beauté, sans jamais parvenir à imposer une vision cohérente. Or, le groupe français ne dispose par des compétences industrielles ni de l’expertise métier indispensables pour porter seul ses ambitions dans la sphère de la beauté. En toute logique, il est plus stratégique pour lui de s’adosser sur la légitimité de L’Oréal plutôt que d’entretenir une structure déficitaire.
Il semble aussi que Kering prenne acte d’une différence fondamentale entre son modèle et celui de LVMH, son grand rival. Car si LVMH parvient à bien performer sur le segment beauté, c’est aussi parce que le groupe possède un authentique ADN beauté. Guerlain est une marque de beauté de prestige. Dior et Givenchy sont des maisons hybrides, nées dans la couture et épanouies dans le parfum. Mais les maisons de Kering n’ont pas cette double ascendance. Une limite qui a considérablement freiné leur progression dans le maquillage et la parfumerie.
En signant un accord avec L’Oréal, Kering choisit d’assumer ce qu’il est : un groupe de mode et de désir, pas un industriel de la cosmétique. Et cette lucidité pourrait précisément servir de fondement à la relance du groupe de luxe en 2026.
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