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Prada présentait aujourd’hui sa collection printemps/été 2026 à Milan. Un défilé qui a confirmé la vocation intellectuelle et conceptuelle de la maison. Miuccia Prada et Raf Simons ont orchestré une succession de silhouettes où uniformes, déstructurations et associations chromatiques inattendues redéfinissent les codes de l’élégance contemporaine. Mais derrière cette radicalité esthétique se dessinent aussi des enjeux stratégiques pour le groupe Prada. Car les ventes de luxe ralentissent. Et en parallèle, c’est Miu Miu, la marque secondaire, qui devient la locomotive économique, détrônant au passage Prada. Dans le même temps, le rachat de Versace, plus tôt cette année, rebat les cartes au sein du groupe. La maison Prada doit plus que jamais réaffirmer sa position de pilier culturel dans ce groupe en mutation.
Une collection conceptuelle, entre uniformes et déconstruction
La silhouette d’ouverture donne le ton : une combinaison bleu ciel, coupée net, portée avec un sac noir. Une esthétique fonctionnelle, presque clinique, qui est la marque de fabrique de Prada. Puis viennent des robes vert acide, gonflées de volumes circulaires qui rappellent les années 50. Mais avec un twist Prada : des silhouettes déconstruites par des superpositions inattendues de gants colorés et de jupons froissés. Les vestes épaulées, portées avec des jupes midi découpées en biais, contrastent avec des pièces volontairement simplistes.
La collection joue sur l’effet de collage. Une chemise à manches courtes se mêle à une jupe plissée en nylon. Un manteau en cuir marron recouvre une robe minimaliste. Un blazer oversize se superpose à un mini bustier rouge vif. Les couleurs alternent : jaune citron, vert menthe, orange brûlé, noir profond. Elles ne cherchent pas l’harmonie. Mais plutôt la friction qui provoque un choc visuel. Prada met en scène un langage dans lequel chaque pièce devient un fragment. Et les fragments s’assemblent dans une logique de dissonance assumée.
C’est un vestiaire qui déstabilise plus qu’il ne rassure. Et il revendique justement une place dans le champ de la réflexion plutôt que celui de la séduction. Prada reste donc plus que jamais fidèle à son ADN. Et le vêtement s’impose à nouveau comme un support d’analyse sociale. Car dans un monde fragmenté, le vêtement reflète forcément son époque.
Prada, pilier culturel dans un groupe en mutation
L’année 2025 est celle de tous les défis pour Prada. D’abord parce que le contexte économique est peu favorable, avec un repli général des ventes de luxe dans le monde. Mais aussi parce que le groupe Prada illustre aussi la recomposition en cours dans l’industrie du luxe. En effet, c’est désormais Miu Miu, la « petite sœur » de Prada, qui tire la croissance. Sa capacité à séduire les générations Z et Alpha et à assurer la viralité sur les réseaux sociaux en fait un moteur business évident.
Face à cela, Prada n’a d’autre choix que de consolider son rôle de maison plus conceptuelle. Les défilés se présentent comme des manifestes esthétiques, qui nourrissent la légitimité intellectuelle du groupe. Car Prada ne cherche pas à conquérir par le produit immédiat. Mais elle cherche plutôt à construire une image de pertinence culturelle qui résonne avec les attentes de sa clientèle fidèle. La maison est donc l’aiguillon créatif en même temps que la vitrine d’une vision avant-gardiste de la mode.
L’acquisition de Versace par le groupe Prada, au printemps dernier, accentue encore cette redistribution des rôles. Car Versace apporte la séduction et le goût du spectacle. Un contraste très marqué avec la froideur volontaire de la maison Prada. En tant que groupe, Prada s’articule donc désormais autour d’un triptyque clair : Prada l’intellectuelle, Miu Miu le moteur business, et Versace pour la désirabilité immédiate.
Les enjeux d’un équilibre délicat
Cette stratégie offre une grande complémentarité. Mais elle laisse aussi présager de tensions potentielles. Avec sa collection printemps/été 2026, Prada confirme son rôle de référence culturelle. Mais elle prend aussi le risque d’un éloignement du terrain commercial. Dans des marchés comme la Chine ou le Moyen-Orient, où l’ostentation et la lisibilité esthétique demeurent des valeurs sûres, l’approche conceptuelle de Prada peut sembler trop cérébrale.
Le défi est donc double. Il faut maintenir la pertinence culturelle auprès des prescripteurs de tendances et de la clientèle fidèle. Mais la maison doit aussi veiller à ne pas devenir une marque davantage célébrée pour son influence intellectuelle que pour son attractivité commerciale. Le danger serait de voir Miu Miu et Versace éclipser Prada, en reléguant leur aînée au rang de simple icône symbolique.
Le défilé d’aujourd’hui cristallise donc ces enjeux. Et avec cette nouvelle collection, Prada affirme une conviction forte : dans un marché en transformation, la valeur culturelle est un atout stratégique qu’il faut savoir cultiver. La maison italienne réaffirme son identité singulière, et souligne ainsi la cohérence stratégique du groupe Prada. Mais une question s’impose toutefois : dans un marché du luxe plus compétitif que jamais, est-ce encore possible de maintenir l’équilibre entre avant-garde conceptuelle et performance commerciale ?
Tout savoir sur la Fashion Week de Milan 2025 :