|
|
Les maisons de luxe sont nombreuses à jeter leur dévolu sur les grands crus. À mi-chemin entre art et artisanat, le vin offre à la communication une dimension esthétique dont elle aime s’emparer.
Que les grandes maisons de luxe françaises aient très tôt jeté leur dévolu sur les plus beaux domaines viticoles est désormais bien connu. En 2016, lorsque le groupe LVMH rachète le mythique Clos des Lambrays (à Morey-Saint-Denis en Bourgogne), il ajoute un vingt-et-unième domaine à sa collection. Et il n’est pas le seul : François Pinault, déjà propriétaire du Château Latour à Pauillac, s’est porté acquéreur en 2017 du non moins célèbre Clos du Tart, à Morey également. Les frères Weithermer – propriétaires de Chanel – déjà heureux détenteurs du cru de Margaux Rauzan-Ségla (acheté en 1994), et du Château Canon, 1er cru classé de Saint-Emilion (depuis 1996), ont très récemment (en septembre 2017) racheté le très joli Château Berliquet, grand cru classé de Saint-Emilion. Et la liste ne s’arrête sans doute pas là. L’intérêt de ces maisons historiques pour les propriétés viticoles constitue bien évidemment un investissement, un patrimoine à faire fructifier. Mais il semblerait qu’au-delà de l’intérêt patrimonial, les univers du luxe et du vin partagent des valeurs communes. Et s’alimentent.
Le vin, un produit de luxe
Parce que le vin n’est pas un besoin de première nécessité, on le rangerait volontiers dans la catégorie des produits de luxe. Entre savoir-faire et savoir-vivre, il en définit même une certaine idée. Un objet hors du temps, immuablement reproduit, sorti de terre et magnifié par la main de l’homme, à la fois artiste et artisan… on devine déjà ce que pourrait être le socle d’une heureuse communication. Les grands domaines viticoles l’ont bien compris, et c’est en s’appuyant sur ces piliers – héritage, histoire, tradition, rapport à la temporalité – qu’ils inscrivent leurs marques dans des codes traditionnellement associés à l’univers des maisons de luxe.
La promesse d’immersion : le vin, comme si on y était
Pour ces vins issus de propriétés qui s’attachent à construire des marques dans un secteur mondialement concurrencé, communiquer n’est pas un vain mot. Bien entendu, il s’agira d’abord de faire un grand vin. Et de montrer qu’on sait le faire et qu’on s’y emploie, avec patience et raffinement. Alors on ouvre les portes de ses chais et de ses caves, on révèle les secrets de fabrication. Le succès galopant de l’ « oenotourisme » en France ces dix dernières années en est la claire illustration. Quoi de plus convaincant, en effet, que d’ouvrir ses ateliers pour présenter le travail du vigneron-artisan au public amateur, qui se voit proposer des visites toujours plus exclusives, toujours plus sur-mesure. La célèbre maison de Cognac Hennessy a même intitulé son parcours de visite « Welcome Backstage ».
La communication du vin ou l’expérience du beau
Pourtant le vin n’est pas que savoir-faire, et si la communication s’arrêtait à la mise en lumière d’un certain artisanat, elle manquerait sans doute l’essentiel. Elle toucherait la raison, mais raterait le cœur. À mi-chemin entre art et artisanat (« découvrez la magie d’Yquem, entre art et artisanat », signe le château), le vin offre à la communication une dimension esthétique dont elle aime s’emparer. Dès lors, il peut être raconté comme une expérience, une émotion, une sensation. Le même Hennessy, qui proposait de découvrir les coulisses, engage ses visiteurs à vivre une « expérience à 360° » ; la récente Cité du Vin de Bordeaux n’invite pas à autre chose : « offrez l’expérience, vivez la Cité du vin ! » Cette expérience tant appelée, véritable sollicitation des sens, promet ainsi d’aborder la découverte du vin par la sensation. Rien de moins que la visée de l’art : chercher chez le visiteur, le spectateur, le dégustateur, une manière d’émouvoir et de toucher les sens.
L’expérience du sensible
La célèbre et très luxueuse marque de champagne Krug a exactement orienté sa communication sur le terrain du sensible en lançant sa « Music Experience ». De très grands noms du jazz actuels ont ainsi composé la musique que leur inspiraient différentes cuvées de la maison, tandis que d’autres ont sélectionné l’air à écouter pour accompagner la dégustation. Dans une grande circularité, le champagne inspire une émotion que devrait retranscrire une musique, qui à son tour susciterait une émotion. Et la boucle est bouclée.
Si Krug a aussi bien réussi sa « correspondance » baudelairienne – les sens tour à tour sollicités (la vue, l’odorat, le goût, puis l’ouïe) décuplent l’émotion – ils sont nombreux à lui avoir emboîté le pas. Le Château La Coste en Provence propose, lui, d’associer son domaine à l’art contemporain en exposant, à ciel ouvert, au milieu des vignes, les œuvres d’artistes de grande renommée. Hennessy, encore, a demandé au réalisateur danois Nicolas Winding Refn, de construire un court film pour accompagner la sortie de sa cuvée X.O. Les exemples peuvent se multiplier. Tous ici poursuivent une même ambition : axer leur communication sur la dimension esthétique du vin (ou du spiritueux), un moyen sûr d’émouvoir le consommateur et de placer le produit hors du temps.
Le vin, une inspiration ?
Sans doute, si luxe et vin se répondent si bien, c’est que les maisons de luxe et les domaines prestigieux poursuivent une source commune d’inspiration, celle qui enchante le monde.