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En 2019, le terme « sustainability » était sur toutes les lèvres. En 2020, il se déclinera en une série de notions plus concrètes qui appellent à l’action : l’ambition d’un luxe performant, niveau neutralité carbone, préservation du milieu, et approche circulaire, est en passe de devenir la nouvelle norme.
Ce nouvel axe stratégique de l’univers du luxe aura-t-il le don de le renvoyer, tel le Tirésias d’Ovide qui a connu tous les genres, à son état d’origine ?
L’éveil des consciences
La « mentalité millenial » – dont la génération éponyme constitue aujourd’hui 35% du marché du luxe (45% en 2025) – se révèle être « psychographique ». Elle infuse toutes les générations et régions du globe : en 2019, la clientèle du secteur affiche à 80% (tous profils confondus) sa préférence pour des marques socialement responsables. Elle attend à 60% davantage d’engagement de l’univers du luxe par rapport à d’autres industries (Bain & Company, Rapport Automne 2019).
A charge pour les marques de soigner les codes du secteur et d’articuler le récit autour des avancées techniques, l’artisanat d’art, le savoir-faire local, le bien-être individuel. En évitant donc les propos anxiogènes, culpabilisants ou anti-luxe, avec des talents, partenaires et financiers sensibles à la question environnementale, on scrute sur ce terrain la rivalité entre les principaux acteurs.
Gestes verts à profusion
Ces deux dernières années, les annonces de produits et initiatives éco-responsables des enseignes classiques ou nouveaux-venus se relayent quasi-quotidiennement : confection d’articles à partir de «plastique des océans» (Adidas, Prada ou le barcelonais Ecoalf) et de chutes et matières réemployées ou «surcyclées» dans le sillage de Maison Martin Margiela (Marine Serre, Yves Saint-Laurent, Petit h d’Hermès, Vêtements, le collectif GmbH, finaliste en 2020 du prix Woolmark). Mise au ban des fourrures et cuirs exotiques, voire gages « vegan » à base de Pinatex (ananas) ou Frumat (pommes), par une dizaine d’enseignes, la Fashion Week de Londres ou la ville de Los Angeles dans les pas des britanniques Stella McCartney et Vivienne Westwood. Or 100% éthique chez Chopard, dont la palme d’or du festival de Cannes. Filtres éco-conscients sur les sites internet Farfetch, Net-à-Porter et des Galeries Lafayette. Emballages rechargeables ou bio-sourcés de cosmétiques tels que le tube à base de carton de L’Oréal et Albéa. Créoles Balmain en diamants produits hors-sol par le californien Diamond Foundry.
Sans oublier, côté institutionnel, le premier bilan écologique de la Fashion Week parisienne prévu pour 2020, les prix Green Carpet en clôture de la Fashion Week de Milan et la création de la Chaire Sustainability IFM-Kering, sur les traces du centre créé par le London College of Fashion (UAL) il y a dix ans.
« The temperature rises »: une année charnière pour le luxe ?
L’année qui vient de s’écouler a été témoin d’un petit chambardement parmi les marques de luxe, poussées vers des démarches collectives et des engagements plus concrets.
L’évolution des mentalités et la multiplication des gestes verts ne se sont pas encore traduits par une diminution de l’impact du secteur qui croît de 3-4% par an, pèse 291 milliards d’euros et compte 390 millions de consommateurs (450 millions en 2025) (Bain, Automne 2019). Parce qu’elles recèlent, d’après l’ONU et l’UE, de nombreuses pistes d’amélioration, elles s’attirent tout particulièrement les attentions des filières textile, maroquinerie et accessoires (tous segments confondus). En l’espace de quelques mois, sont venus s’ajouter aux rendez-vous internationaux la Charte de l’Industrie de la Mode sous l’égide de l’UNFCCC (organisatrice des COP pour le climat), l’Alliance pour la Mode Durable coordonnant les actions du système onusien et le Fashion Pact présenté au dernier G7.
Dans l’hexagone aussi la cadence s’accélère. En 2017, le législateur instaure le « devoir de vigilance » qui oblige Dior, Hermès, Kering, L’Oréal ou LVMH à veiller à prévenir leurs risques environnementaux. Fin novembre 2019, le législateur inscrit l’objectif de « neutralité carbone à l’horizon 2050 » pour le pays dans la loi énergie-climat. Ce mois de janvier, il adoptera définitivement la loi anti-gaspillage qui interdit, dès 2021, la destruction d’invendus non alimentaires, une pratique déjà taboue dans l’industrie. Enfin, de nouvelles mesures pourraient venir de l’Europe.
La messe est dite
Jusqu’à présent rétifs à faire de leurs objectifs pour l’environnement un axe de communication, les champions du luxe renversent la tendance. Ils en font désormais un axe stratégique, à commencer par LVMH et Kering qui ont instauré leurs propres systèmes d’évaluation environnementale, « LIFE » et « EP&L », dès le début des années 2010.
Fin 2019, LVMH (épaulé par Stella McCartney, et HélèneValade à la direction Développement Environnement) annonce être en mesure de dépasser son objectif de réduction de 25% d’émissions de gaz à effet de serre sur la période 2013-2020, malgré la forte croissance des activités du groupe et sans recours à des mesures de compensation, un mécanisme controversé. LVMH vise par ailleurs 100% de diamants certifiés en 2020 et la traçabilité totale des matières animales en 2025. Kering ambitionne pour sa part de diminuer de 50% ses émissions sur la période 2015-2025, tout en compensant le reste par la préservation de « forêts critiques ». A ces objectifs, le groupe de François Pinault conditionne 10% du bonus de ses cadres.
Quant aux signataires du Fashion Pact (Capri, Chanel, Hermès, Kering, PHV ou Stella McCartney), ils promettent d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Dans 10 ans, ils envisagent de s’approvisionner à 100% en énergies renouvelables et se passer du plastique à usage unique. Pour ceux de la Charte de l’ONU, ce sera moins 30% d’émissions pour 2030.
La loi des volumes
« Insuffisant » assène le monde associatif. Pour WWF ou Fashion Revolution, des engagements tels que ceux du Fashion Pact demeurent non contraignants, peu lisibles et passent à côté du problème.
Pour rester dans les clous de l’Accord de Paris, il s’agit de diviser par 6-8 à l’échelle de la France nos émissions d’ici 2050. Pour tout un chacun, cela revient à faire passer son bilan carbone de 11 tonnes annuelles à moins de 2, comme le montre cette simulation pour 3 tonnes d’équivalent carbone/an (TCEPA).
Alors que la croissance du secteur reste tirée par la conquête de nouveaux marchés (sport et streetwear en Asie), la déconsommation frappe à sa porte qui remet en cause l’essor dans les années 1980-90 du luxe abordable, l’augmentation des volumes de ventes selon des méthodes propres à une fast fashion ringardisée, esthétiquement obsolescente et jetable. Samuel Sauvage (Halte à l’Obsolescence Programmée) souligne ce paradoxe : « si l’univers du luxe présente des caractéristiques de l’industrie de demain telles que la qualité des matériaux et la production locale, il reste une locomotive de la création de besoins superflus et de la consommation ostentatoire ». Il conclut : « la grande question est de savoir comment ce secteur peut s’engager vers la sobriété. »
En doublant les fois que nous portons un article, nous pourrions abaisser de 44% les émissions de la production textile (A new textiles economy, 2017, Ellen McArthur Foundation).
Pour 2020, le luxe est résolument prié de passer son modèle économique au crible de l’économie circulaire.