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En amont de la journée mondiale anti-contrefaçon, Les Carnets du Luxe s’intéressent aux enjeux actuels pour les marques de luxe. En l’espace d’un an, les attaques à grand renfort de dupes et de pingti se sont multipliées. Pire : la copie devient tendance. Or, les premières cibles de cette nouvelle génération de contrefaçons sont les maisons de luxe. Pour s’adapter, elles mettent en place de nouvelles stratégies. Et elles tentent aussi de protéger leurs créations en aidant leur clientèle à mieux identifier les risques de produits contrefaits.
Vanessa Bouchara, juriste spécialisée en propriété intellectuelle, évoque pour nous les risques autour de la contrefaçon. Et elle aborde notamment la délicate question de la responsabilité des influenceurs, dont le rôle prescripteur en matière de tendance pose question en ce qui concerne la promotion des dupes.
Dans son rapport du 7 mai dernier, l’OCDE estime que le commerce de contrefaçons dans le monde a atteint 467 milliards de dollars en 2021. Le rapport observe que « les contrefacteurs sont de plus en plus habiles pour produire rapidement de fausses versions de produits très demandés, à les promouvoir en ligne et tirer parti des modes d’expédition moins surveillés ». Il pointe notamment du doigt le fait qu’environ 65% des saisies des douanes concernent des courriers ou des petits colis. Est-ce à dire que les autorités et les marques perdent actuellement du terrain dans la guerre contre les articles contrefaits ?
Vanessa Bouchara – Le rapport de l’OCDE montre effectivement une progression importante de la contrefaçon. Ce rapport relève que :
- les réseaux de contrefacteurs utilisent des canaux difficiles à contrôler (e-commerce, marketplaces, envois postaux diffus) ;
- la qualité des contrefaçons s’améliore ;
- une multiplication des petits colis (65 % des saisies) rendant l’action des douanes plus compliquée.
L’importance de la lutte contre la contrefaçon est prise en compte par les douanes et les autorités, mais les canaux de promotion et de diffusion des produits de contrefaçon se multiplient, ce qui peut rendre les choses plus complexes.
Les marques doivent redoubler de vigilance et se doter des outils et de spécialistes en propriété intellectuelle pour agir efficacement.
Les 3 types d’articles les plus contrefaits sont les vêtements, les chaussures et la maroquinerie. On voit bien que la mode est la première cible de la contrefaçon. Et sur les réseaux sociaux, la contrefaçon s’affiche sans complexe. Une nouvelle génération de consommateurs revendique l’achat de ces articles contrefaits. Mais sont-ils pleinement conscients des risques encourus ?
Souvent, non.
Cette banalisation de la contrefaçon chez une partie de la jeune génération s’explique par plusieurs facteurs :
- l’attrait de la marque ou du produit sans le coût, dans un contexte d’inflation et de pression sociale sur l’apparence ;
- une méconnaissance des risques : légaux (amendes, poursuites), sanitaires (produits potentiellement dangereux pour la santé), économiques (perte d’emploi, impact sur la création), et éthiques (travail forcé, crime organisé) ;
- et un discours flou sur les dupes qui entretient la confusion entre inspiration et contrefaçon.
Il y a un véritable besoin d’éducation, car beaucoup ne perçoivent pas la contrefaçon comme une infraction, mais comme un « bon plan ».
Et que dire des influenceurs sur les réseaux sociaux qui présentent des dupes et des pingti lors de leur « hauls », ces vidéos qui présentent des idées shopping ? Quelle est leur responsabilité légale dans la visibilité médiatique qu’ils donnent à ces articles contrefaits ?
Cela dépend de ce qu’ils présentent et de la manière dont l’influenceur procède. Si un influenceur fait la promotion d’un produit inspiré qui ne constitue pas en soi une contrefaçon, sans faire référence à la marque, il ne risque pas grand-chose.
Si un influenceur fait la promotion d’un dupe qui est une contrefaçon d’un produit portant atteinte à des droits de propriété intellectuelle, ou qui fait référence à la marque, il s’agit d’une potentielle contrefaçon.
La responsabilité de l’influenceur pourrait être engagée du fait d’un usage commercial puisqu’il se fait rémunérer ou qu’il monétise cette offre (via des codes de réduction, de l’affiliation, un partenariat).
Les marques sont parfois un peu gênées d’agir contre les influenceurs puisque cela pourrait avoir des répercussions négatives en termes d’image, donc il est essentiel pour les marques de définir une stratégie claire pour limiter au maximum les risques tout en préservant la marque et en évitant qu’elle soit confrontée à de la promotion illicite de copies de ses produits.
La sensibilisation du public et des influenceurs est aussi indispensable pour que les consommateurs aient conscience des droits de propriété intellectuelle, et des risques liés aux contrefaçons.
La pression croissante de la contrefaçon force les marques à réagir. La marque de cosmétiques Charlotte Tilbury a lancé une campagne en début d’année pour sensibiliser les consommatrices. Puis en février, Chanel a dévoilé un e-logo pour identifier ses revendeurs sur internet. En tant que juriste, quel regard portez-vous sur ces initiatives ? Diriez-vous qu’elles sont suffisantes ? Ou que les marques doivent en faire plus ?
Ces initiatives sont positives mais partielles. La campagne de Charlotte Tilbury est utile pour sensibiliser les consommateurs aux risques concrets de la contrefaçon dans les cosmétiques. Le e-logo de Chanel est une innovation intéressante pour authentifier les points de vente, mais cela reste une réponse ponctuelle.
Pour être réellement efficaces, ces actions doivent s’inscrire dans une stratégie plus large, combinant:
- la mise en place d’une stratégie d’action contre les vendeurs et hébergeurs;
- la sensibilisation du public – par une page dédiée sur le site internet de la marque par exemple – et les actions à mener pour sensibiliser les influenceurs ;
- des technologies de traçabilité (blockchain, QR codes uniques, certificats numériques) ;
Les marques doivent adopter des stratégies efficaces pour sensibiliser et agir afin de respecter leurs droits.