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L’alliance entre mode et patrimoine constitue aujourd’hui la signature de la Fashion Week de Paris. Les maisons françaises ne célèbrent pas seulement leur histoire. Elles s’inscrivent aussi dans un récit national capable de rayonner à l’international. Elles ont su transformer le patrimoine en levier de légitimité, d’influence culturelle et de désirabilité. Cette stratégie est désormais largement imitée par des maisons de luxe internationales. Et elle interroge la manière dont l’histoire, l’architecture et l’art peuvent devenir des instruments de narration et de brand marketing. En la matière, les défilés de la Fashion Week de Paris prouvent que le patrimoine n’est pas qu’un simple décor. Chanel au Grand Palais, Dior à Versailles, Saint Laurent à la Bourse de Commerce. Chaque choix de lieu pour un défilé sert à exprimer la voix singulière des maisons parisiennes.
Aux origines des défilés de mode
Bien avant que l’expression « Fashion Week » n’existe, les défilés étaient des rendez-vous très confidentiels. Les maisons accueillaient leurs clientes dans des salons feutrés. Et la couverture médiatique était inexistante.
Ce n’est qu’à partir des années 1980 que les maisons ont commencé à sortir de leurs murs. Et à Paris, ce fut d’abord le Carrousel du Louvre qui devint le lieu emblématique de la Semaine de la Mode parisienne. Tout un symbole, puisque le Carrousel incarnait alors un mariage inédit entre mode et patrimoine.
Mais les choses s’accélèrent dès les années 1990. Le défilé de mode dépasse alors le simple vêtement pour devenir un spectacle empreint de narration. Les collections se mettent en scène dans des décors spectaculaires. Les défilés évoquent des imaginaires riches. Et la Fashion Week affirme sa dimension culturelle. Car à mesure que la couverture médiatique prend de l’ampleur, les maisons parisiennes adoptent une stratégie de conquête. Elles s’adossent au patrimoine architectural et artistique. Elles inscrivent leur travail dans la droite lignée de l’art de vivre à la française. Et elles se distinguent de New York, alors en pleine ascension, en revendiquant un passé créatif qui se veut inégalable. En 2025, alors que la compétition est féroce sur le marché du luxe mondial, cette stratégie est plus pertinente que jamais.
Chanel au Grand Palais : un théâtre patrimonial taillé sur mesure
C’est en 2005 que Chanel a défilé pour la première fois sous la verrière du Grand Palais. Depuis, la maison de la rue Cambon a fait de ce lieu parisien son écrin emblématique. Au fil des années, Chanel a proposé des défilés plus spectaculaires les uns que les autres. Et elle a su tirer parti de l’espace, comme avec son défilé printemps-été 2015. Chanel transforme alors le Grand Palais en supermarché de luxe, pour un défilé devenu culte.
Les liens entre Chanel et le Grand Palais se resserrent encore au moment de la rénovation. Le chantier doit coûter 460 millions d’euros au total. Et le mécénat de la maison participe à hauteur de 25 millions d’euros. Il s’agit alors du mécénat le plus important jamais réalisé pour un établissement public (hors reconstruction de Notre-Dame).
Dès la réouverture du Grand Palais, Chanel réinvestit les lieux. Et elle retrouve un bâtiment historique devenu son jardin personnel. Un espace que la maison n’hésite pas à rhabiller à ses couleurs, comme pour son défilé Haute Couture 2025. Désormais, le Grand Palais est indissociable de l’iconographie Chanel.
Versailles et les Invalides : Dior, entre grandeur et puissance narrative
En 2007, John Galliano, alors directeur artistique de la maison Dior, célébrait les 60 ans de la maison de couture. Et pour l’occasion, il présentait un bal rempli de silhouettes Dior dans le cadre somptueux de l’Orangerie du château de Versailles. Depuis, la maison Dior a souvent réutilisé Versailles comme cadre de ses campagnes. Ce fut notamment le cas avec sa première campagne du parfum J’adore mettant en scène Rihanna comme nouvelle égérie.
Mais la maison Dior a aussi eu recours à un autre cadre de prestige : les Invalides. Un choix complémentaire, qui cultive l’intérêt de la maison pour les lieux chargés d’histoire. Ainsi que pour les cadres spectaculaires.
Pour son premier défilé Homme de juin 2025, Jonathan Anderson, nouvellement nommé à la tête de Dior, fait honneur à cette double référence culturelle. Car c’est dans au Petit Trianon de Versailles que le film de présentation de la collection est tourné. Et c’est aux Invalides qu’a lieu son défilé. Une ascendance prestigieuse qui incarne bien les ambitions de la maison. Dior utilise le patrimoine architectural pour sublimer ses créations. La maison choisit judicieusement des lieux qui attirent le public international. Et elle cultive ainsi son aura médiatique à grand renfort d’images dans des cadres prestigieux.
Saint Laurent : conjuguer héritage et esprit contemporain
Si Chanel et Dior font le choix de s’adosser à l’histoire artistique française, d’autres maisons se distinguent par leurs choix singuliers. C’est notamment le cas de Saint Laurent, qui préfère cultiver une pertinence culturelle plus personnelle. Sa stratégie ? Rester cohérente avec sa propre histoire.
Ainsi en 2024, Saint Laurent a fait le choix de revenir à son siège historique. Et c’est rue de Bellechasse que la maison a présenté son défilé printemps-été. Un choix qui cherchait à valoriser l’histoire de la maison.
Pour autant, la marque parisienne ne s’interdit pas d’enrichir son récit personnel. Et ce n’est donc pas un hasard si le défilé Saint Laurent Homme 2025 a eu lieu à la Bourse de Commerce. Car le lieu abrite la collection Pinault d’art contemporain. Un trait d’union entre la famille propriétaire de Kering, le groupe de luxe dont dépend Saint Laurent. Le choix de cet espace muséal relie alors le patrimoine de la couture française avec l’art contemporain. Et il permet à Saint Laurent d’instaurer un dialogue pertinent entre histoire et innovation. Une manière de démontrer que la pertinence culturelle peut se conjuguer à la mémoire de la maison.
Hermès : la singularité jusqu’au choix du cadre du défilé
Toutes les maisons de luxe multiplient les défilés dans des lieux culturels de prestige. Toutes ? Non, car Hermès a l’habitude de prendre le contre-pied de ses concurrentes. Et le choix du cadre de ses défilés souligne l’indépendance d’une maison qui revendique sa singularité jusque dans son rapport à la culture.
Ainsi, le défilé Hommes 2025 d’Hermès a eu lieu dans un cadre a priori très éloigné de l’univers de la mode. En effet, la maison a choisi le Conseil économique, social et environnemental pour accueillir sa collection. Un bâtiment sélectionné pour sa seule architecture, sans chercher le bénéfice d’une quelconque aura artistique.
Ce choix est audacieux car Hermès affirme que la maison est la star de sa propre communication. Elle n’a pas besoin de décors historiques ou d’œuvres d’art pour valoriser son travail. La scénographie minimaliste mettait ainsi en valeur l’exigence artisanale de la marque. Et avec son art consommé du pas de côté, Hermès a réussi à susciter la curiosité sans copier la stratégie des autres maisons. Mais ce refus n’est-il pas aussi une façon d’affirmer que la maison Hermès incarne à elle seule une forme d’autorité culturelle ?
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